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ALEXANDRE ZINOVIEV
« Notre époque n'est pas que post-communiste, elle est aussi post-démocratique. Nous assistons aujourd'hui à l'instauration du totalitarisme démocratique ou, si vous préférez, de la démocratie totalitaire. » (La Grande rupture).
Jacques AMALRIC et Ange-Dominique BOUZET:
(QUOTIDIEN : samedi 13 mai 2006)
Dernier exil pour Alexandre Zinoviev
L'écrivain soviétique Alexandre Zinoviev, auteur des Hauteurs béantes, s'est éteint mercredi à Moscou, à l'âge de 83 ans, après s'être converti sur le tard en contempteur de l'Occident et en soutien des communistes, lui qui avait été, dans les années 70-80, un auteur phare de la littérature de la dissidence et de l'exil.
Né en 1922, ce petit homme aux yeux bleus perçants, à la langue déliée et à la parole aussi rocailleuse que corrosive, était issu d'une famille de onze enfants. Fils d'une mère d'origine paysanne et d'un peintre en bâtiment, il est exclu à 17 ans des komsomols pour avoir protesté contre le culte de Staline et viré de l'Université. Fuyant les représailles, Zinoviev s'engage alors dans l'armée, où ses états de service pendant la Seconde Guerre mondiale lui sauvent la mise. Rentrant décoré du conflit, il reprend ses études à Moscou, devient mathématicien logicien, professeur à l'Institut de philosophie de l'Académie des sciences, dont il sera finalement exclu par ses pairs apeurés.
Notoriété. Hauteurs béantes, son premier livre, met en effet un terme abrupt à cette carrière universitaire. L'ouvrage, expliquera plus tard Alexandre Zinoviev, a été écrit au début des années 70 ; mais ce n'est qu'en 1976 que le manuscrit est «exfiltré» d'Union soviétique par une collaboratrice de l'ambassade de France. Les Hauteurs béantes seront finalement publiées à Lausanne en 1977, grâce au professeur Georges Nivat ; elles apporteront, en quelques mois, une notoriété internationale à leur auteur, en même temps que vingt ans d'exil.
Sous couvert apologétique, la fronde verbale des héros de Zinoviev, seulement désignés par des surnoms tels que le «bavard», le «barbouilleur» ou le «sociologue», dézingue les impasses de la société soviétique de l'ère Brejnev. Le régime, en retour, donne le choix à l'auteur : douze ans derrière les barreaux, tandis que sa femme et sa fille sont exilées en Sibérie, ou un départ à l'étranger, déchu de sa nationalité. Ce sera Munich.
Le logicien y devient écrivain à part entière, multipliant romans et essais au rythme de presque un livre par an : l'Avenir radieux (qui lui vaudra le prix Médicis étranger), Homo sovieticus, les Gaietés de la Russie, la Maison jaune, etc. Une production dont 23 titres sont aujourd'hui disponibles en français, principalement aux éditions de l'Age d'homme, mais aussi chez Julliard, Gallimard ou Laffont.
Alexandre Zinoviev était un solitaire profondément amer, doublé d'un mégalomane. A Moscou, même pendant sa brève période de dissidence «ouverte», il évitait la fréquentation des autres contestataires et ne les ménageait guère. Il se posait volontiers, à lui tout seul, en solution de remplacement au régime qu'il avait servi, avant de le haïr. Ne doutant jamais de ses qualités d'écrivain, il lui arrivait d'expliquer qu'il aurait tout aussi bien pu accéder à la notoriété par la peinture. Ce qui n'est pas évident, à voir ses gouaches surréalistes, violentes et colorées. Plus récemment, il assurait peindre moins «par nécessité que pour accompagner les couvertures» de ses livres.
Relativement isolé dans son exil de Munich, Zinoviev va se montrer de plus en plus critique de la démocratie à l'occidentale et des Etats-Unis. L'Ouest ne le satisfait pas plus que l'Est. Totalitarisme et capitalisme le hérissent. Il se révèle allergique à la «westernisation du monde» et aux dérives russes engendrées par la fin d'un communisme qui n'avait pas su le reconnaître.
Slavophilie. La perestroïka de Gorbatchev, en particulier, ne trouve pas grâce à ses yeux ; il la dénoncera en 1990 dans Katastroika. Slavophile impénitent, il vomira l'Occident «suicidaire» pour son intervention dans les conflits des Balkans, dénonçant là «une agression du plus pur style hitlérien».
Prenant beaucoup de ses anciens admirateurs à contre pied, Alexandre Zinoviev soutiendra Guennadi Ziouganov, leader des communistes résiduels, à l'élection présidentielle de 1996, contre Boris Eltsine. «Les libéraux, je les connais. Ils se ressemblent, comme se ressemblent les punaises entre les planches de l'isba. Ils sont pires que les staliniens». En 1999, à presque 77 ans, il revient définitivement s'installer en Russie. «Je suis un missionnaire et non un dissident, proclame-t-il. Je suis indépendant de tout Etat. Mon propre Etat, c'est moi-même.»
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15.05.09: Vient de paraître en russe
ZINOVIEV - Le Magazine, 2009/1
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Les Journées Internationales
A.Zinoviev:
6 et 7 Novembre 2008
à l'Université de Moscou
29.10.08: Vient de paraître en russe
ZINOVIEV - Le Magazine , 2008/2
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Ils ont dit...
«Alexandre Zinoviev use du burlesque, de l'humour noir, du rire tragique, de l'absurdité colossale.»
Bernard Pivot, Lire
«Retenons ce nom : il y a eu Swift, Voltaire, Gogol; il y aura Zinoviev.»
Jean Clémentin, le Canard enchaîné
«Zinoviev, c'est Orwell au pays de Dostoïevski.»
François Busnel, Lire
«Lire l'Avenir radieux, c'est se prémunir contre la glaciation généralisée de nos sociétés.»
Max Gallo, l'Express
«L'Homo Sovieticus est une étape dans le voyage au bout de la nuit d'un homme qui garde les yeux ouverts et qui, sans peur, tente d'exorciser sa peur.»
Claude Schwab
«Des livres comme 'Les hauteurs béantes', il n'en arrive que quelques uns par siècle.»
Mark Kravetz, Libération
«C'est un moment vivant, inoubliable; ce livre doit être lu par le plus grand nombre.»
Max Gallo, L'Express
«Par la fiction, Zinoviev a su pousser la caricature de la société dans laquelle il a vécu jusqu'au point où, par excès même, elle devient révélatrice de la condition humaine dans sa banalité et son universalité.»
Claude Schwab, Résistance et lucidité
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